Florence Rey est sortie de prison. Mon adolescence m'est revenue en pleine figure

Publié le par Seasons in the sun

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Certains faits divers incarnent une génération ou une période de la vie. Florence Rey est devenue le symbole de l'adolescence révoltée et du nihilisme des années 90. Impossible d'oublier le flamboiement de la  révolte dans ses yeux pour ceux qui avaient 15-20 ans à cette époque. Cette insoumission jusque devant les flics qui l'interrogeaient. À son procès, elle a refusé de s'exprimer. C’était encore une attitude rebelle. Une dernière manière de refuser le jeu et de s’affranchir du système qui allait la broyer. L'anarchie avait trouvé son visage.
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La presse parlait de l’influence de Tueurs Nés. Florence et Audry se seraient pris pour les héros du film d’Oliver Stone. Ce qui dérange est toujours taxé de folie. L’acte brut de ces jeunes gens révélait un malaise profond que la France balladurienne ne voulait pas voir. Beaucoup de gens de leur âge se reconnaissaient en eux. Peut-être parce qu’on ressentait instinctivement que leur révolte était la nôtre ? Ils étaient le produit du trop plein de frustrations de la jeunesse. Du trop de désillusions. L’engrenage qui les avait menés à cette extrémité était le marasme dans lequel s’engluait toute une génération.

 

Florence Rey n’a répondu à aucune question : elle était la question que la société ramassait en pleine gueule. Avec ses bras croisés face aux accusations, elle était sa mise en accusation, le défi superbe et inutile que ce vieux monde fossilisé recevait sans comprendre. À l’âge où d’autres remisent à peine leurs poupées et où les parents pensent que leur fille rêve le soir du prince charmant, elle s’est entouré les reins d’une cartouchière pour dire son mal être, elle a pris un fusil parce qu’elle ne voyait plus d’autre moyen de se faire entendre. Sa photo a explosé dans le présent maussade comme un météore, elle a fracturé une France anesthésiée dans son conformisme. Pasqua voulait la faire exécuter séance tenante comme si couper la tête de Florence pouvait suffire à exorciser ce qu’elle avait révélé d’inconcevable par son geste.

 

On ressentait que les enquêteurs faisaient fausse route en cherchant un mobile précis à leurs actes. Leur crime était une sorte de geste existentiel, un cri désespéré lancé au bord du gouffre, pas si éloigné de celui de l’étranger de Camus vidant un chargeur, geste absurde en réponse à l’absurdité de la vie qui l'étrangle.  

 

Florence Rey n’avait pas besoin de parler. Elle était la révolte poussée jusqu’à l’incandescence. Sa photo était un signe de ralliement. Avec des potes on voulait lui écrire dans sa prison.  Pensait-on aux victimes ? On apprenait de ses nouvelles indirectement par la presse. Ses moindres phrases, ses moindres gestes étaient rapportés, disséqués comme pour une princesse... une princesse de l'anarchie. Je me souviens des émissions que lui dédiait Jean-Paul Bourre, des nuits assis par terre à refaire un monde qui semblait n'avoir rien à foutre de nous... Toute une époque.

 

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En apprenant sa libération avec deux mois de retard, j'ai pris 15 ans dans la gueule. J'ai vu repasser mes 20 ans comme un plat de nouille pas fraiche un lendemain de beuverie. Smells Like Teen Spirits.


Ça fait bizarre de savoir qu'elle est libre, qu'elle a 34 ans. Et qu’elle a fait des études de… comptable en entreprise. Qu’en penserait Audry ?


Peu importe. On se rend compte simplement que le temps a passé et que l'adolescence est soudain loin. Il faut même avouer avec un peu de honte qu’on avait fini par l’oublier, au travers des années, enfermée seule là-bas très loin au fond de sa prison, au fond de nos mémoires, lentement effacée jusqu’à disparaître. Mais peut-être que même dans ce dernier épisode qu’est sa libération, sa trajectoire reste révélatrice des rêves déchus d’une génération.


On a grandi avec elle. On peut mesurer. Plus de no future, les loosers romantiques ont cédé la place aux Yuppies triomphants. Audry ne voulait pas se prostituer en se vendant pour un patron. Que dirait-il au milieu de cette France qui a pris pour devise « travailler plus pour gagner plus »?

 

Les temps ont changé et c'est pas brillant. C'est sur I pod dématérialisés qu'on écoute le disque de Noirs Dez emblématique de l'époque « j'attrape la rage ». Florence Rey est sortie en cachette de son cachot. On a même failli ne jamais le savoir. Peut-être que c'est le signe que ce qu'elle incarne est révolu. Elle est ensevelie dans le passé avec nos rêves d'adolescents. Elle nous regarde comme un fantôme depuis nos vingt ans.regard-copie-1.jpg



 

Farewell madone électrique.

 



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